Réécriture ces jours (avant enregistrement au brise-lames et intégration dans le jeu-vidéo) des newtopies, utopies artisanales et chaotiques, qui occuperont le niveau 3 du jeu. Les voici donc au Maquis.
" 26 Septembre
Je ne sais pas bien d'où elles viennent. Si elles me sont soufflées par les vents qui parcourent les espaces intérieurs et font de moi leur instrument, ou si elles empruntent en douce les gaines électriques chargées d'amener le courant jusqu'aux phares – des trous dans le béton les laissent par endroits apparentes. Je ne sais pas si elles ont traversé les mers avant de s'articuler dans le for intérieur ou si elles ne sont que le sous-produit des rêves de Mathilde qui tapent encore dans la structure moléculaire, qui tapent encore mais différemment.
Des paroles sourdent.
Je ne sais pas si elles viennent de plus loin encore dans l'espace et le temps, produites par des êtres, peut-être des hommes et des femmes, qui frappent sur des tuyaux, des éviers, des barreaux, des canalisations dans l'architecture du monde, sur tout ce qui se trouve à leur portée. Je ne sais pas ce qu'elles me disent, je ne suis qu'un brise-lames, obtus et bétonné. Qui résonne de ces coups portés, de ces ombres de coups portés. Je sais qu'elles viennent d'un lieu où si vous dites passé-présent-futur on vous rira au nez, où tout se mêle sans se confondre.
Je me demande si je ne deviens pas fou en me rapprochant ainsi de l'humain. Des humains qui auraient traversé des villages au bord du désastre, des salles de bain immenses et très calmes, des romans de l'après, de grandes chaînes de montagnes ou de vagues.
Ces paroles, sans queue ni tête, trouées par les vents violents, par les orages d'équinoxe qui secouent la mer comme la ville, je veux bien ici les lancer à mon tour à travers l'espace et le temps, à l'aveugle.
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Nos muscles sont ronds et élastiques. Parfaits, ils s'adaptent aux trous, aux brèches, aux fissures, jusqu'aux plus fines, dans lesquels on se glisse, à loisir, pour dormir.
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On est une bande de rigolos, volatils, intrépides et rapides. Les blocs, penchés, les tétrapodes, lisses et renflés, nous ont fait le pied sûr, à force de temps et d'accidents. Le faux pas est devenu pour nous une bizarrerie exotique.
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[vent secteur Sud-Est 3 à 4] rien assis, on est toujours debout ou accroupis, on s'allonge oui, parfois, pour l'amour, et encore pas toujours, pour dormir aussi, mais nos nuits sont courtes, nos rêves on les faits éveillés –ça raccourcit le temps de sommeil, c'est forcé.
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On est tôt debout, et là, en tout début de journée, on prend le temps nécessaire à l'examen de nos rêves. S'ils nous semblent bons, vraiment désirables, on rêve à nos rêves, on les fait tourner dans la lumière du matin, le temps qu'ils s'évanouissent. S'ils nous sont nuisibles comme les mauvaises bêtes bien puantes qui parfois nous visitent, on les défait, pas à pas, on en jette des bouts aux chiens, on en retient d'autres pour les faire briller, ça demande du discernement, de la délicatesse dans l'approche des rêves.
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On se tient en équilibre instable sur les anciennes frontières qu'on appelle Thélèmes. Ici, pas d'école, ni bancs ni maîtres. Mais si l'un de nous te pose une question, tu dois lui répondre, et si la réponse doit prendre deux jours, il faut tout arrêter pendant deux jours, rien de plus important alors que la réponse, avec toutes les questions qu'elle contient et auxquelles il s'agit aussi de répondre [vent secteur Sud-Est 3 à 4] les poupées russes ici, leur ventre rond et leurs joues rouges, on aime les ouvrir et en découvrir d'autres encore et encore jusqu'à la dernière, la plus petite, qui ne s'ouvre pas. Quand on parvient à ce point, on peut estimer qu'on a fini de répondre. Alors on s'arrête, la réponse est faite. On peut passer à autre chose. De cette façon qu'on transmet, qu'on questionne, qu'on aime, qu'on grandit, qu'on vieillit, en posant et en répondant à des questions.
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Ici : pas de spécialités ! la division du travail c'est bon pour les sociétés archaïques, pour les Kaïques comme on les appelle ici.
Ici c'est différent, on a chacun toutes les cordes à notre arc, celle qui chasse, celle qui invente, celle qui sait écouter, celle qui guide, celle qui prépare le poisson, celle qui s'occupe de ceux qui ont paumé des cordes ou qui ne les ont pas encore toutes, et j'en passe, j'insiste : pas de spécialités, juste les cordes nécessaires pour vivre et basta !
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Nos bibliothèques tiennent sur nos paumes, nos paumes sont des muscles courts et puissants.
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On se tient côte à côte sur les frontières aujourd'hui délaissées, depuis qu'ils se sont repliés dans les terres, plus au nord, au-delà des hauts cantons, abandonnant des territoires qu'ils jugeaient trop risqués. Nous sommes restés. Ils nous ont dit : vous êtes des rigolos ! Je parle ici des Kaïques, des [vent secteur Sud-Est 3 à 4 devenant variable 1 ou 2 au sud des Thélèmes en première partie de nuit] qu'ils ne peuvent pas comprendre. Faut dire qu'ils ne font pas de gros efforts, pour comprendre.
Nous sommes restés. Nous sommes. Nous sommes restés pour les vents qui balayent, nettoient, leurs langues sont rapides et râpeuses. Nous sommes restés. Il y a longtemps.
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Les Thélèmes, c'est rapport à Rabelais et l'abbaye de Thélème, à sa règle qui se limite à cette clause « Fais ce que voudras », ah quelle règle, comme on aimerait s'y plier, là, sur le champ ! mais Rabelais dit, et il est très clair là-dessus, que cette maxime ne peut s'appliquer qu'à des gens « libres, bien nés, bien instruits » ! C'est coton on s'est dit, parce que « bien nés » personne ne l'était, et parce que « libres » on voyait pas trop, se libérer oui, s'arracher, se défaire, cette tension, oui, mais s'il faut être libres comme ça, juste libres, totalement libres, et ça dès le départ, non vraiment on voyait pas ! Après réunions ordinaires et ultra-ordinaires, après soirées imbibées à rire comme des idiots, on s'est dit que pour ce qui était du « bien instruits » on pouvait peut-être tenter quelque chose… et c'est ce qu'on a fait, on a ouvert des ateliers qui s'ouvrent et se ferment selon les vents, la tramontane ouvre ceux où l'on trafique des sons, le vent marin ceux où se fabriquent les récits, et ainsi de suite pour le mistral, l'albe, le levant et le vent d'autan. On y apprend l'invention, des trucs comme chanter en canon, danser sur les jambes des tétrapodes, écrire sur peau ou sur béton, en langues connues et inconnues, lire dans les reliefs de repas régurgités par les goélands, construire des machins qui servent à tout et à rien avec les clous rouillés, les bidons et cagettes bleues qu'on trouve ici en masse, et un tas d'autres choses encore, tout y est pensé pour ouvrir le diaphragme, booster les systèmes sympathique et parasympathique, donner la fureur de vivre et d'apprendre, des pratiques qui font de nous des vivants, juste des vivants, et c'est le plus important.
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Nous sommes nus. Nos muscles courent constamment sous la peau, nos muscles sont souples, nos tendons sont forts. Pour le reste, et surtout le foie et le sexe, nous sommes fragiles. Personne ici ne songe à le cacher.
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Nos sexes sont de verre et d'électricité. Par nuit noire ils nous rapprochent. La pleine lune, on la garde pour la danse et pour la chasse.
Très tôt, nous apprenons par cœur la topographie des zones sensibles que nous appelons entre nous « carte du tendre ». Sur le bout des doigts, très tôt, nous savons la nuque et le creux sur la route de l'épaule, très tôt nous savons le pli de l'aine et la naissance des fesses, les lobes et les dents, le frein et les nymphes, nous savons aussi où se logent les corpuscules de Krause, les points exquis… e tutti quanti. Nous sommes de bons élèves, appliqués et concentrés, le sexe est à l'unanimité notre matière préférée. Incollables sur le sujet, clitoris-vagin-anus et couronne-scrotum-anus sont nos saintes trinités.
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Nos bibliothèques tiennent sur nos paumes, ces paumes puissantes capables de tenir le couteau, le couteau qui racle la chair d'un homme pris vivant, qui dépèce ses muscles, tout, jusqu'à l'os, du poignet jusqu'à l'épaule. Des paumes puissantes capables de faire ça. Et après se les laver. Parce que nous ne sommes pas des saints. Nous savons. Nos mains sont rouges. Alors nous tenons nos mains occupées. Sur les lignes de vie, nous lisons les textes que nous avons palmcastés. Nos bibliothèques sont sur nos paumes : nous avons développéà force de temps et d'accidents des formes nouvelles de partage et de vie. Nous sommes des hommes de main, volatils, inquiétants.
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Nous dansons dans le brouillard.
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Il y a des soirs, l'été, l'un de nous s'arrête et dit : ce soir, je vous fais mon cinéma. On s'assoit alors à ses côtés, face à la mer. On attend un peu, qu'il se concentre. Peu à peu, les images, en prise directe avec ce qui se trame dans son cerveau, se forment sur sa rétine et la projection peut commencer, sur la mer, qu'on a choisie d'huile pour l'occasion. Quand elle est déchainée, c'est aussi possible mais l'effet est quand même très brouillon. Les images projetées sur mer, comme la mer projetée sur rétine, sont inversées, mais la nature est bien faite : la mer ne coordonne pas les images de l'œil droit et de l'œil gauche, elle ne les remet pas à l'endroit. Le scenario, si tant est que le cerveau en ait comploté un, est alors illisible et nous pouvons en confiance nous absorber dans les lignes et les couleurs qui défilent librement, largement, sur la mer haute, à l'autre bout du grand cône lumineux qui s'ouvre aux rétines de l'un d'entre nous.
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[vent sud-sud ouest force 4] sans blague – paraît que les K – les kaïques, comme ça qu'on dit des fois entre nous – paraît que les K travaillent comme des dingues ! Il faut me croire, c'est le genre de chose qui s'invente pas ! Et faut pas déconner avec ça, ils sont chatouilleux sur [Vent : de sud-ouest à sud, force 4 à 5] attachés à leur travail [Vent : de sud-ouest à sud, force 4 à 5] fabriquent en série une sorte de pompe [Vent : de sud-ouest à sud, force 4 à 5] sert à faire grossir le sexe, le faire gonfler quoi, un « gonflex » je te dis, et j'en [Vent : de sud-ouest à sud, force 4 à 5]
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La plupart du temps, chacun vit retiré, chacun a si vous voulez comme qui dirait ses plages de solitude, longues. Ensemble très vite on s'ennuie. On se bouffe le nez. On vit comme des ours parce qu'on sait bien que c'est le seul moyen d'être un peu humain.
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Alors nous nous prenons à rêver. Nous voyons la société archaïque, l'imagination supplée au manque d'information, comble les lacunes, lie entre elles les données fragmentaires que les revenants nous livrent en désordre, oui, nous voyons : une société pleine de K, de petits K et de grands K.
Les grands K sont adorés par tous. Les petits K récitent tous les matins « les grands K Kréent du travail, les grands K nous donnent le travail qu'ils Kréent, les grands K sont de Krands Kréateurs. Les grands K nous Kréent ! » et les petits K se lèvent du bon pied. Tous vénèrent les grands K qui les autorisent à fabriquer des gonflex, des milliards de gonflex aux couleurs et dimensions si variés. Régulièrement, les Grands K offrent, en plus du travail, du temps aux petits K, et les petits K reconnaissants s'empressent de l'employer, ce temps, et ils se ruent sur les gonflex aux couleurs et dimensions si variées qu'il se trouve toujours une nouveauté. Ils savent bien que s'ils n'achètent pas les gonflex qu'ils ont si amoureusement fabriqués, parce qu'ils ont l'amour du travail bien fait, très tôt on leur a inculqué, ils risquent de perdre leur travail, les Grands K ne sont pas des philanthropes. Il faut les comprendre. Aussi les petits K collectionnent consciencieusement les gonflex qu'ils mettent en vitrine sur des napperons brodés. Le dimanche, jour du grand K, ils sont fatigués, et le petit K est bien content de trouver un gonflex, le mâle comme la femelle. Parce que le jour du grand K, il faut que les petits K jouissent, c'est comme ça. Les grands K aiment ça, ils en ont besoin pour concevoir de Krands Projets, ça les stimule et leur redonne le moral.
Je connais pas vraiment mais c'est l'idée que je m'en fais [Vent : de sud-ouest à sud, force 4 à 5] beaucoup trop d'imagination.
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pas envie
qu'on m'oublie
dans un pli
qu'on m'oublie
en deux, en quatre, je m'y replie
je plie encore
en huit
et j'appuie sur le pli
je suis un accordéon et là je respire - parfois ça fait un peu de musique
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Il paraît que là-bas chez les Kaïques il y a des divans profonds et voluptueux, légers comme des nuages, blancs comme des anges. Même que certains y disparaissent. Un revenant me l'a dit, il aurait bien aimé rester, lui…
Les mots qui t'enfument, et toi tu souris
Et m'y jeter et y plonger et y
Il paraît que là-bas
Ferme-là
Paraît que là-bas, il y a des endroits exprès fermés où déféquer, avec du papier de soie pour s'essuyer sans s'en foutre plein les doigts [Vent : de sud-ouest à sud, force 4 à 5] soie me cause au fondement une volupté extrême » et même que c'est Rabelais qui [Vent : de sud-ouest à sud, force 5 à 6 avec rafales en début de soirée]
Nous, on a les oursins, suffit d'avoir le coup de main
Vous êtes une bande de mal torchés
Et au printemps les oisillons : « il n'y a tel torchecul que d'un oison bien duveté car vous sentez au trou du cul une volupté mirifique », tu crois que t'es le seul à connaître les classiques ?On te retient là ? on te retient ?
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Nos territoires sont les Thélèmes, les anciennes frontières. Des hommes les traversent, d'autres s'y installent. Certains en partent, d'autres y reviennent. Nos territoires sont poreux, à l'extrême, ils sont refuge, ils sont halte, et depuis très longtemps ils ne barrent plus la route à quiconque.
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Nous gaspillons. Tout. Par « tout », j'entends le temps. Le temps nous le prenons et nous le gaspillons. Petit on sait faire, mais quand on est grand [ton temps est compté] ça devient de l'art.
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Mes murs ont des ]oreilles[ petites mais nombreuses et tenaces, elles s'accrochent, noires, luisantes d'eau de mer, s'ouvrent à peine à peine mais les sons ont surtout besoin de ces espèces d'espaces, secrets et à demi-fermés, qui les accueillent, longtemps, et les bondissent après, hors d'eux, place faites place aux sons qui bondissent d'oreille[ à ]oreille et c'est ainsi un réseau tendu d']oreilles[ entre les Thélèmes, tendez ]vent : Sud-Est force 3 à 4 revenant secteur Nord force 4 à 5 en seconde partie de nuit[ "